À vos portefeuilles

La crainte des étudiants universitaires québécois s’est matérialisée jeudi dernier: le budget provincial confirme la hausse des frais de scolarité après 2012. Une nouvelle mal accueillie par les regroupements étudiants de la province qui promettent une mobilisation sans précédent.
Illustration: Dominique Morin
 
 
Dès l’automne 2012, les étudiants universitaires devront payer 325 $ de plus par année, une augmentation étalée sur une période de cinq ans. Une année à l’université coûtera 3 793 $ en 2016-2017, comparativement à 2 068 $ aujourd’hui (ce calcul exclut les frais afférents). Cette hausse, appréhendée depuis longtemps, suscite la grogne des associations étudiantes.
 
«Le budget Bachand impose une hausse totale de 1 625 $, soit 75% de la facture, et ordonne aux étudiants de payer une hausse trois fois plus importante que celle en vigueur aujourd’hui, explique Louis-Philippe Savoie, président de la Fédération universitaire du Québec (FEUQ), qui représente plus de 125 000 étudiants. Tout cela se résume assez bien: depuis son arrivée au pouvoir, Jean Charest a doublé les frais de scolarité.» Depuis 2007, à la suite du dégel des frais de scolarité, la facture des étudiants a augmenté de 50 $ par session, passant de 1 668 $ à 2 168 $ au terme de l’augmentation à l’hiver 2012. Néanmoins, les 3 793 $ qui seront exigés aux étudiants en 2016-2017 équivaudront aux frais demandés en 1968 en tenant compte de l’inflation, selon des données du Ministère.
 
La Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec (CREPUQ), demandait une hausse d’au moins 504 $ par année pendant trois ans. «Mais ce qui a été proposé est bien pire, s’exclame le président de la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ), Léo Bureau-Blouin. On peut facilement parler ici de l’augmentation la plus importante que le Québec n’ait jamais connue.» 
Un mal nécessaire?
Cette hausse de la facture étudiante a été adoptée dans le but de regarnir les coffres des institutions. En effet, le budget déposé par le ministre des Finances du Québec, Raymond Bachand, contient un «Plan de financement des universités québécoises» qui prévoit un bond de 25% des revenus des institutions d’ici 2017, soit un gain de 850 millions. 
 
Grâce à ce plan, les établissements universitaires québécois verront, au cours des six prochaines années, leurs revenus grimper de 3,7 milliards à 4,6 milliards en 2016-2017. Le partage du financement des universités sera modifié, avec une contribution des étudiants plus importante, passant de 12,7% à 16,9. «Les universités ont besoin d’argent afin de préserver la qualité de leur enseignement et cette hausse des frais de scolarité est la seule façon de garantir cet héritage, indique l’économiste en chef du Conseil du patronat du Québec, Norma Kouzhaya. Les montants demandés sont très raisonnables et le Québec demeurera tout de même l’endroit au Canada où les frais universitaires sont les plus bas.» Selon Statistique Canada, l’Ontario (6 307 $), le Nouveau-Brunswick (5 516 $) et la Nouvelle-Écosse (5 495 $) sont les trois provinces canadiennes où étudier coûte le plus cher. 
Poudre aux yeux
Selon une étude de la FEUQ parue en 2010, un étudiant québécois vit en moyenne avec 13 330 $ par année. «Plus de 60% d’entre eux terminent avec une dette moyenne de 14 000 $, expose Louis-Philippe Savoie. Et qu’est-ce que le gouvernement trouve comme solution? Les mettre encore plus dans le rouge!» 
 
Afin de compenser les hausses, le budget provincial 2011 propose un ajustement de l’Aide financière aux études (AFE). La ministre de l’Éducation, Line Beauchamp,  a mentionné que le régime de prêts et bourses sera plus généreux pour les étudiants démunis. Le gouvernement Charest investira plus de 116 millions d’ici 2016-2017 dans l’AFE, soit 35% des sommes résultant de la hausse des frais de scolarité. Une partie des étudiants bénéficiant de prêts et bourses recevront une bourse d’études supplémentaire d’un montant équivalent à la hausse des frais de scolarité. Selon le budget déposé, cette mesure s’appliquera à 51 000 étudiants en 2012-2013 et à 55 000 en 2016-2017 et coûtera annuellement 86 millions. «C’est de la poudre aux yeux, une vaste mascarade pour masquer une injustice, fustige le secrétaire aux communications de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSE), Gabriel Nadeau-Dubois. Nous ne sommes pas naïfs. Nous refusons d’accepter leurs bonbons.» 
 
Pour venir en aide aux étudiants, le seuil de contribution parentale sera aussi réajusté de 30 000 à 35 000 $ en 2016-2017. Selon une note d’information de la FEUQ dévoilée le 10 mars dernier, 40% des étudiants qui devraient recevoir une aide financière de leurs parents n’y ont pas accès en réalité. «Une fois de plus, Jean Charest manipule les étudiants, car il va falloir attendre six ans avant que ce seuil soit réajusté, dénonce le président de la FECQ, Léo Bureau-Blouin. Avec la majoration du coût de la vie, on ne peut plus du tout parler de bonification.» 
 
Un régime de soutien financier des dons d’entreprises envers les universités a été mis en place afin que les entreprises contribuent volontairement au financement universitaire. Le vice-secrétaire général de la Table de concertation étudiante du Québec (TACEQ), Joël Pedneault, estime qu’une contribution fiscale obligatoire des entreprises pour le financement de l’éducation postsecondaire, sous la forme d’une taxe en fonction de la masse salariale, aurait dû être instaurée. «Cela aurait concrètement arrangé les déboires financiers des universités, indique-t-il. Avec cette hausse des frais de scolarité, le fardeau des étudiants ne diminuera aucunement. Au meilleur des cas, l’endettement universitaire stagnera.» 
Déclaration de guerre
En 2005, le gouvernement libéral a soulevé l’ire des étudiants lorsqu’il a modifié le régime de l’AFE, en transformant 103 millions de bourses en prêts.  Le Québec a alors connu sa première grève étudiante massive depuis 1996, lorsque le Parti québécois avait tenté de supprimer le gel des frais. Finalement, une entente de principe obtenue après plus d’un mois et demi de grève avait forcé le ministère de l’Éducation à réinvestir 482 millions en prêts de l’AFE en bourses sur une période de cinq ans. «Il ne faut pas sous-estimer le pouvoir des étudiants, rappelle Joël Pedneault. Chaque décennie a eu un coup dur sur les étudiants et ils ont toujours eu le dernier mot, je ne vois pas pourquoi aujourd’hui serait différent.»
 
Une manifestation nationale organisée par l’ASSE est déjà prévue pour le 31 mars dans les rues de Montréal. Les étudiants profiteront de ce rassemblement pour lancer un message clair au gouvernement libéral: il doit faire marche arrière sur son projet de hausser les frais de scolarité. «Ce budget est une déclaration de guerre envers les étudiants, soutient Gabriel Nadeau-Dubois de l’ASSE. Jamais un budget ne sera aussi destructeur pour l’accessibilité aux études et, dès aujourd’hui, nous comptons mettre de la pression et nous mobiliser comme jamais auparavant.» 
 
L’Association facultaire des étudiants en arts (AFEA) et l’Association facultaire étudiante des sciences humaines (AFESH) seront en grève le 31 mars prochain. Une grève générale illimitée est déjà sur toutes les lèvres. «Dès l’automne prochain, des actions concrètes vont êtres mises en place, ajoute le vice-secrétaire général de la TACEQ, Joël Pedneault. Ce qui est sûr, c’est que l’année prochaine ne sera pas calme.»
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LIGNE HISTORIQUE
1968 à 1989: Les frais de scolarité sont plafonnés à 500 $ par année.
1989 à 1994: Les frais de scolarité connaissent un bond de plus de 200% en seulement cinq ans. En 1989, un étudiant payait 550 $; en 1991, 1 337 $; en 1994, 1 668 $. 
1994: Gel des frais instauré.
1996: Le Parti québécois tente d’abolir le gel. Devant les contestations des étudiants, il fait marche arrière.
2005: Le gouvernement libéral modifie le régime d’Aide financière aux études (AFE) et transforme 103 millions de dollars de bourses en prêts. Première grève étudiante massive au Québec depuis 1996 et mobilisation historique d’un mois et demi. Les étudiants forcent la main de Québec qui décide de réinvestir 482 millions en prêts de l’AFE sous forme de bourses. 
2007: Le Parti libéral du Québec prévoit un dégel progressif des frais de scolarité. Une fois réélu, il exige 50 $ de plus par session aux étudiants jusqu’en 2012.
17 mars 2011: Le  budget provincial 2011 confirme la hausse des frais après 2012: 325 $ par an, durant cinq années, pour un total de 1 625 $. La facture des étudiants s’élèvera à 3 793 $ au terme de l’augmentation, en 2016-2017.

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