Pris entre l’arbre et l’écorce

Modification du statut des doyens

Doyens-cadres ou «doyens professeurs»? Déchirés sur la question, la direction de l’UQAM et le Syndicat des professeurs ont entrepris en mars dernier un bras de fer qui risque de provoquer des flammèches à la rentrée.

La direction de l’UQAM et le Syndicat des professeurs (SPUQ) ont débattu cet été de la désyndicalisation du poste de doyen devant la Commission des relations de travail (CRT). Les professeurs doutent que le tribunal penchera en leur faveur. Ils placent tous leurs espoirs dans un grief qui pourrait invalider l’ensemble des démarches de l’Université et l’obliger à tout reprendre à zéro.

En mars dernier, la direction a mis fin aux travaux du Comité d’étude sur le statut des doyens, qui avait comme mandat d’étudier les modalités de retrait de l’accréditation syndicale des représentants de faculté. Selon le Syndicat des professeurs, cette décision unilatérale contrevient à la convention collective signée en novembre 2009. En effet, une lettre d’entente intégrée au contrat de travail exige que le Comité émette des conclusions sur la question avant que le projet aille de l’avant. Or, les rencontres ayant été interrompues, aucun rapport n’a pu être produit. Le troisième vice-président du SPUQ, Jean-Marie Lafortune, croit que la direction ne voyait plus d’un bon œil les travaux du Comité. «Celui-ci avait 45 jours pour déposer un rapport. La direction avait accepté de prolonger les délais, mais elle est revenue sur sa décision en disant que ça n’avançait pas assez vite. La raison, c’est que ça n’avançait pas dans le sens de leur position.». Le syndicat a déposé un grief en réaction à la dissolution du Comité, qu’il considère comme un affront à la convention collective. Quant à la direction, elle a déposé une requête à la Commission des relations de travail afin qu’un juge décide si les tâches des doyens exigent ou non que le poste soit syndiqué.

Maintenant que la cause a été entendue à la CRT, Jean-Marie Lafortune, du SPUQ espère que leur grief pourra être étudié rapidement par un arbitre. «Si dans son rapport l’arbitre dit que la direction a erré, il peut remettre en cause le jugement de la CRT. Tout doit alors reprendre. Une nouvelle requête doit être déposée à la Commission.» Le tribunal du travail ne prenant pas en compte dans cette cause les considérations syndicales, le troisième vice-président du SPUQ ne «fonde pas grand espoir sur sa décision». «Notre espoir réside sur l’arbitre de grief», explique-t-il avec assurance. Or, même si le syndicat a demandé à ce que cette personne indépendante entende leur cause en accéléré, la direction de l’université tarde à faire état de ses disponibilités.

Le nerf de la guerre

Mais pourquoi un tel débat maintenant? D’abord, parce que la modification du statut des doyens est le «dernier morceau du parachèvement de la facultarisation» amorcée par Claude Corbo. Ce que le recteur considère comme son cheval de bataille implique une réforme du système d’administration de l’UQAM et la formation de facultés avec plus de pouvoir et d’autonomie.

Ensuite, parce que les doyens ont reçu les 24 novembre et 15 décembre 2009 une formation en ressources humaines. Celle-ci devait les préparer à accomplir de nouvelles tâches d’embauche, d’évaluation et de mise à pied du personnel de soutien. Pour la direction, les doyens pouvaient exercer ces tâches officiellement à partir du 5 janvier 2010. Par conséquent, l’ajout de celles-ci commandait selon le Code du travail une désyndicalisation du poste. Le SPUQ stipule au contraire que ces formations, en plus d’être nettement insuffisantes, soulignent deux autres problèmes: la mise de côté d’un mandat académique et la modification du modèle de gestion même de l’université.

Pour François Bergeron, qui a siégé sur le Comité d’étude sur le statut des doyens, diviser l’horaire d’un doyen entre des tâches administratives et académiques revient à gérer l’université en entreprise. «Malheureusement, beaucoup de gens de notre administration ne comprennent pas ce qu’est une université», déplore le professeur de mathématiques, qui croit que ce lieu de savoir doit être avant tout un pont entre la connaissance et la société.

François Bergeron estime que le projet de la direction menace l’atmosphère d’entraide qui règne présentement entre les facultés. «Dans d’autres universités où tous les dirigeants de faculté sont cadres, il n’y a pas la même ambiance qu’à l’UQAM. Tout le monde est en compétition pour les ressources.» Le chercheur au Laboratoire de combinatoire et d’informatique mathématique considère que c’est Robert Proulx, le vice-recteur à la vie académique, qui a intérêt à voir les doyens changer de statut. «Si les doyens deviennent cadres, le vice-recteur académique aurait plus de poids par rapport aux autres vice-recteurs.»

La modification du statut des doyens pourrait aussi impliquer un changement des rapports de pouvoir au sein des instances de l’Université, croit la représentante des étudiants au Conseil d’administration (CA) Charlotte Guay-Dussault. Les dirigeants de la faculté ne seraient ainsi plus les porte-parole du Conseil académique facultaire (CAF) et de l’Assemblée départementale, mais plutôt le représentant de l’employeur au sein de ces deux paliers décisionnels. «Si les doyens sont des représentants de la direction dans les CAF, vont-ils convaincre le reste du comité de ne pas prendre une décision parce que la direction s’y oppose? Ils ne peuvent pas voter à la Commission des Études (CÉ) parce qu’ils ne sont qu’observateurs et la direction n’a pas confirmé qu’ils le resteraient. Est-ce qu’il y aurait huit patrons de plus à la CÉ ?» Un changement qui s’oppose catégoriquement, selon l’étudiante à la maîtrise en science politique, à une gestion collégiale qui privilégie les décisions de «la base» et qui caractérise l’Université du peuple. «Ça n’a aucun sens que les doyens deviennent cadres dans une université comme l’UQAM, laïque, publique, francophone et populaire.»
Ni les doyens ni les membres de la direction n’ont voulu commenter ce dossier. Le recteur Claude Corbo a avisé Montréal Campus qu’il jugeait même «très inapproprié» d’en discuter. Tous attendent la décision de la CRT avant de se prononcer sur le sujet.

Selon Charlotte Guay-Dussault, la direction considère la modification du statut des doyens comme un fait accompli. «Depuis la signature de la convention collective avec le SPUQ, ils font comme si c’était déjà fait. Le parachèvement de la facultarisation repose sur les doyens-cadres.»  Quant à Jean-Marie Lafortune, du SPUQ, il estime que les doyens sont «pris entre l’arbre et l’écorce». «Ils se rencontrent sur une base régulière avec le vice-recteur à la vie académique. Ils s’estiment plus redevables envers lui qu’envers le syndicat. Il y a un problème identitaire chez eux. On les voit peu dans les instances syndicales.» En plus d’une hausse de salaire qui viendrait de pair avec un statut de cadre, les doyens resserraient ainsi leurs liens avec la direction.

Selon Jean-Marie Lafortune, si le juge de la CRT démontre que l’UQAM a tort de demander la désyndicalisation des doyens et que l’arbitre de grief juge que la direction a contrevenu à la convention collective, Claude Corbo pourrait bien démissionner. Du côté du syndicat, si la cause penche en faveur de l’UQAM, le vice-président du SPUQ souligne qu’une Assemblée générale pourrait avoir lieu afin de mobiliser les professeurs. Après avoir demandé la démission de Claude Corbo en avril dernier, le SPUQ pourrait mettre en branle dès l’automne un plan de «sensibilisation et de mobilisation».

Chronologie des événements

7 janvier 2008: Retour de Claude Corbo à la tête de l’UQAM. Dans son mandat, il prévoit achever la facultarisation amorcée en 1998.

23 novembre 2009 : Signature entre la direction de l’UQAM et le SPUQ de la convention collective (2009-2013). Les deux parties viennent à une entente sur la formation d’un comité qui étudierait le statut des doyens («Lettre d’entente Nº 2»).

5 janvier 2010: Date à partir de laquelle la direction de l’UQAM soutient que les doyens sont devenus des «représentants de l’employeur» puisqu’ils peuvent procéder à l’embauche, l’évaluation et au renvoi du personnel de soutien.

28 janvier 2010: Le Comité d’étude sur le statut des doyens commence ses travaux. Celui-ci est formé par huit professeurs et coprésidé par le premier vice-président du SPUQ Michel Laporte et de Robert Proulx, vice-recteur à la vie académique. Selon la lettre d’entente, le Comité a 45 jours pour émettre ses recommandations.

22 mars 2010: La direction de l’UQAM met fin au Comité d’étude sans la consultation du SPUQ. Une réflexion était en cours, mais le délai trop court ne permettait pas de conclure.

25 mars 2010: La direction  de l’UQAM dépose une requête à la Commission des relations de travail qui «demande l’exclusion des doyens de l’unité de négociation».  Le SPUQ dépose son grief.

28 avril 2010: 200 des 1000 professeurs votent à 92% en Assemblée générale la démission de Claude Corbo. Ils soutiennent que le recteur a «perdu toute leur confiance».

Juin et juillet 2010: L’UQAM et le SPUQ présentent chacun leur argumentaire à la Commission des relations de travail.

Mi-septembre : Le syndicat espère qu’une rencontre avec l’arbitre de grief et l’UQAM pourra avoir lieu.

13 octobre: Date limite à laquelle le juge de la CRT doit rendre sa décision. Celle-ci peut faire l’objet d’une révision ou d’un appel en Cour Supérieure.

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