Un Riopelle dans ton 3 ½

Artothèque: œuvres d’art à louer

Le musée Artothèque envoie au grenier les papiers peints fleuris et les reproductions de Monet qui décorent les maisons. Pour quelques dollars, Tousignant, Riopelle et Borduas prennent le chemin des salons pour s’installer entre la lampe sur pied et le téléviseur.

Abstrait, paysages, techniques mixtes. Des masques sur des casques de vélos, des toiles grand format. Des sérigraphies, des gravures, des estampes. Les œuvres défilent sur les étagères de métal, classées et cordées comme des livres rares aux formats uniques. Située dans une ancienne imprimerie du quartier Rosemont, l’Artothèque offre de l’art prêt-à-louer pour tous les goûts et tous les portefeuilles. Les œuvres délaissent ainsi les silences monacaux des musées pour rejoindre l’air vivifiant des foyers.

Le plancher de bois taché d’encre craque sous les pas de la conservatrice d’Artothèque Marie-Laure Pelletier, qui marche avec assurance entre ces rangs serrés qu’elle connaît par coeur. «Les premières clientes venaient ici avec un bout de papier peint, explique celle qui travaille à l’Artothèque depuis sa mise en place. Elles cherchaient avant tout un cadre ou un paysage très classique.»  Comme dans une bibliothèque, Marie-Laure Pelletier les a conseillées et guidées dans les différents courants artistiques, leur proposant des artistes qu’elles n’auraient jamais découverts autrement. De l’art contemporain pour ceux qui aiment l’académisme, des nus pour ceux qui aiment l’abstraction. «Maintenant, elles se sont ouvertes à l’art et elles en achètent!» s’exclame-t-elle. 

C’est sur ces assises que s’est bâtie l’Artothèque, estime la conservatrice: donner une expérience de l’œuvre et de l’art aux «locataires» et diffuser la connaissance. «On veut rendre l’art accessible. Il n’y a aucune reproduction, ce sont toutes des œuvres originales. Je rêve du jour où les laminés IKEA sortiront des maisons», lance-t-elle à la blague. 

Si la valeur de l’œuvre dicte le coût mensuel, tous les emprunteurs sont sur un pied d’égalité après avoir payé leur cotisation annuelle de 25 dollars. Un tableau de Guido Molinari, dont la valeur est estimée à plus de 5000$ peut coûter 38$ par mois, le prix maximal pour un particulier. Une œuvre de moins de cinq cents dollars peut en coûter huit mensuellement. La durée de location ne peut pas être prolongée. Il est aussi impossible de réserver une des 5000 œuvres, que l’on soit millionnaire ou fauché. «Ce serait contre les principes mêmes de l’Artothèque», précise la conservatrice Marie-Laure Pelletier. Le directeur administratif du musée Christophe Lemière souligne aussi qu’il n’y a pas de traitement de faveur parmi la clientèle. Fait qui s’avère aussi exact pour les artistes. «Ils sont tous reçus de façon équitable. L’idée, c’est de ne pas faire de régionalisme», précise-t-il. 

Sortir la relève du clair-obscur

Formé à 80% d’œuvres québécoises, dont 20% d’artistes de la relève, le catalogue d’Artothèque met en valeur les artistes en début de carrière. Une manière de leur offrir une visibilité, mais aussi une première expérience de «galerie», estime Christophe Lemière. «Nous les aidons à acquérir du professionnalisme, un code d’éthique. À fixer les prix d’une toile par exemple. À avoir une colonne.» Si les œuvres de la «collection fermée», composée des œuvres du panthéon québécois comme celles de Rita Letendre, Marcelle Ferron ou Françoise Sullivan ne peuvent être achetées, celles de la «collection ouverte», où se retrouvent les œuvres de la relève, peuvent être acquises. Une visibilité qui n’est pas négligeable pour ceux qui sont encore inconnus dans le milieu des arts visuels, croit l’artiste Yannick De Serre, dont trois toiles se retrouvent présentement dans le catalogue d’œuvres à louer. «Artothèque offre une façon différente de se faire promouvoir. Et plus les gens voient tes œuvres, le mieux c’est. C’est tellement difficile en tant qu’artiste. Juste avec ça, tu peux commencer à te faire connaître.» La grande circulation des œuvres, qui peuvent se retrouver de Val-d’Or à Chicago en passant par New York, permet d’acquérir lentement une reconnaissance du public et du milieu des arts. Celui qui travaille l’union de la peinture et du vêtement dans ses toiles a vu son dossier choisi par le comité de sélection du musée et ses toiles, louées rapidement. «J’ai commencé avec cinq œuvres. Quatre sont parties dans la semaine suivante. Une n’est presque jamais sortie.» Malgré son succès, il souligne toutefois n’avoir pas vu les retombées financières de sa participation à Artothèque. 

La location d’œuvre d’art serait-elle une nouvelle forme de mécénat? Non, croit Chantal Fournier pour qui c’est d’abord une passion. «Locataire» à l’Artothèque depuis huit ans, il n’est plus question pour elle de se passer de cette expérience et de retourner aux murs blancs. «J’adore les tableaux, mais je n’ai pas les moyens d’en acheter. Je peux maintenant avoir des œuvres chez moi, vivre avec elles. Et à force de les côtoyer, on finit par s’y attacher. C’est plus qu’une décoration, c’est comme vivre avec un artiste.» Ce contact constant avec l’art, en plus de lui avoir fait vivre des «coups de foudre» pour des toiles de jeunes artistes, est selon elle un antidote contre la déprime. «Au musée, on s’assoit et on regarde l’œuvre. Là, je peux prendre mon café et elle est devant moi. Et c’est possible, peu importe mes moyens ou mon statut social. Ça fait du bien au cœur et à l’âme!»

 

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