Du trottoir aux projecteurs

Prostitution homosexuelle à Montréal

La prostitution masculine est l’un des derniers tabous du Village Gai. Dans le documentaire Hommes à louer, le réalisateur Rodrigue Jean braque sa caméra sur ces travailleurs du sexe, qui se dévoilent sans pudeur. Entretien avec un insoumis.

Décidés à sortir de l’ombre, des prostitués masculins se dévoilent à travers l’objectif du réalisateur Rodrigue Jean dans Hommes à louer, un documentaire introspectif de la prostitution homosexuelle masculine à Montréal. En entretien avec le Montréal Campus, le cinéaste prend position sur ce phénomène.

Montréal Campus: Pourquoi était-il important à vos yeux de faire un documentaire sur la prostitution homosexuelle à Montréal?

Rodrigue Jean: Parce que c’est méconnu et très marginal. Il y a beaucoup de jeunes adultes impliqués dans ce métier-là et il me semblait intéressant de montrer leurs difficultés. Les jeunes qui vendent du sexe dans la rue sont les proies des vendeurs de drogue, de la police et du système judiciaire. Il est important de parler d’eux comme de personnes à part entière et non comme des personnes tellement marginales qu’on doive les abandonner.

MC: De quelle façon avez-vous pris connaissance de ce phénomène?

RJ: À mon arrivée à Montréal, il y a longtemps, j’ai connu des amis qui se prostituaient. C’est un milieu qui me fascine parce que les travailleurs du sexe répondent aux besoins psychologiques les plus élémentaires de leurs clients, comme les manques sexuels et affectifs. Leur regard sur le monde dans lequel on vit est très clair et on constate dans le film qu’il y a beaucoup de vérités dans leurs observations.

MC: Vous abordez la prostitution homosexuelle masculine, mais les travailleurs du sexe, sont-ils réellement gais?

RJ:
La majorité des travailleurs du sexe interrogés dans le film sont hétérosexuels même s’ils ont des relations sexuelles homosexuelles pour gagner leur vie. Les gars parlent de la situation de leur blonde qui se prostituent elles aussi et c’est un milieu encore plus difficile pour elles, même si la paye est meilleure. Elles sont victimes de violence physique, parce qu’en faisant appel à leurs services, beaucoup d’hommes achètent un pouvoir sur ces femmes. Les hommes, quant à eux, sont plutôt victimes de violence psychologique parce qu’ils arrivent à se défendre.

MC: Alors comment les aider?

RJ: Ce que je vais dire ne vient pas de moi – je ne suis pas chercheur ou sociologue, j’essaie seulement de faire des films – mais à la lumière de mes recherches et de mes entrevues, la décriminalisation de la prostitution et la légalisation des drogues seraient un pas dans la bonne direction. Non pas pour faire la promotion du crack ou pour accroître la prostitution, mais plutôt pour que ceux qui sont prisonniers de ce tourment puissent avoir accès à autre chose que de passer leur vie en prison ou de craindre la pègre.
Sinon, comme disait Jean Bruno Caron, qui est intervenant d’Action SéroZéro pour la prévention du VIH dans le Village et qui a collaboré au documentaire, «il faudrait seulement les saluer et arrêter de les ignorer». Ça ferait déjà une grande différence.

MC: Vous avez travaillé à Londres comme intervenant avec les jeunes de la rue. Est-ce que la situation des travailleurs du sexe se ressemble d’une ville à l’autre?  Y a-t-il une spécificité à Montréal?

RJ: Les conditions de vie se ressemblent, mais, ici, les gens dans la rue sont plus éduqués qu’à Londres. Les jeunes d’ici sont donc, malgré tout, dans une situation moins difficile. Là-bas, les gens démunis le sont beaucoup plus à tous les niveaux. La base d’éducation donnée à tout le monde fait une grande différence.

MC: D’après vos rencontres, quelles sont les lacunes de notre société démontrées dans votre documentaire?

RJ: Les inégalités profondes qui existent et qui s’approfondissent ne nous mèneront jamais à rien: c’est le constat que nous avons fait en suivant ces jeunes hommes très marginalisés dans leur introspection. Ils sont la marge de la marge et on ne gagnera rien collectivement à stigmatiser des segments entiers de la jeunesse.

MC: À votre avis, que recherchaient les douze hommes du film?

RJ: Quand on a commencé le film, on avait prévu le faire à visage couvert, mais ce sont eux qui ont demandé à être vus. «On n’a rien à cacher, nous ont-ils dit. On aimerait bien que les gens sachent ce que l’on fait, quelle est notre vie.» Il y avait de leur part un désir d’éducation et de compréhension.

Hommes à Louer, à l’affiche les 7 et 8 novembre à 14h15, au cinéma du Parc.
 

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