Et tombent les masques

Montréal déclare la guerre aux manifestants cagoulés

Photo Jean-François Hamelin - À compter du 26 février, il sera interdit de revêtir cagoules, masques ou tout autre objet couvrant le visage lors de manifestations se déroulant à Montréal.

La Ville de Montréal a tranché: les manifestations se feront désormais à visage découvert dans la métropole. Si les autorités municipales espèrent ainsi freiner la violence, des militants craignent les effets pervers d’un tel règlement.

 

Bas les masques! C’est le message sans équivoque qu’envoie la Ville de Montréal avec l’adoption d’un règlement qui vise à interdire le port de cagoules et de tout autre objet couvrant le visage durant les manifestations.

 

Proposé par le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), le règlement vise à encourager les manifestations pacifiques et à décourager l’usage de la violence, soutient le porte-parole de la police montréalaise, Paul Chablo. «Dans une société démocratique et libre, il n’y a aucune raison de porter un masque.»

Le comité exécutif de la Ville a adopté le règlement le 4 février et le conseil municipal devrait l’entériner le 26 février prochain. Montréal se joindra ainsi à des villes comme Zurich et New York, qui ont déjà adopté des mesures semblables. Les violences qui ont embrasé Montréal-Nord cet été, après le décès de Freddy Villanueva, et le centre-ville, après la victoire du Canadien en séries éliminatoires ont convaincu les autorités de sévir.

Le règlement est toutefois loin de faire l’unanimité. Des opposants au projet se sont rassemblés pour former le collectif Gros Bon Sens afin d’organiser la résistance. Le groupe a déjà arboré ses couleurs au conseil municipal du 26 janvier dernier avec une manifestation sous forme de bal masqué. Pour l’occasion, une centaine de protestataires ont couvert leur visage de plumes, de brillants, de foulards et d’autres costumes pour critiquer cette mesure qu’ils jugent contraire à la Charte canadienne des droits et libertés. «L’article 2 stipule que chacun a droit à la liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication, affirme un membre du collectif, Réda Chérif-Touil. L’interdiction de se couvrir le visage, c’est une réduction nette de notre liberté d’expression et de son affichage.» Une allégation que le SPVM rejette du revers de la main en affirmant que le port du masque n’est nullement mentionné dans la Charte.

Le gros bon sens
Si le règlement en fait sourciller plusieurs, c’est notamment en raison de son manque de clarté. Le texte mentionne l’interdiction de porter «cagoules, masques, et autres façons de se masquer le visage», mais un flou persiste quant à sa mise en œuvre. Le SPVM a promis que la mesure serait appliquée selon le «gros bon sens», sans plus de détails. C’est d’ailleurs ce qui a donné l’idée du nom au collectif opposé au règlement.

«On va évaluer les facteurs de risque et le potentiel de violence, explique l’agent Paul Chablo. On ne va pas regarder ce que les gens portent, mais leurs intentions.» Selon lui, ceux qui seraient masqués lors de la manifestation annuelle contre la brutalité policière ou après une victoire du Canadien en mai pourraient être ciblés par un tel règlement. «D’un autre côté, on n’ira pas arrêter quelqu’un qui porte une cagoule pour se réchauffer dans une manifestation pacifique à -30ºC.»

Réda Chérif-Touil craint cette liberté d’interprétation laissée aux forces de l’ordre. «Si le règlement passe, ça ouvrira la porte aux abus concernant les arrestations. L’application reposera sur la subjectivité du policier plutôt que sur l’objectivité, les lois et les droits. Ce sera arbitraire: la police va juger que la personne est menaçante, alors elle va l’arrêter! Même si, après, elle n’est coupable de rien, elle a quand même vécu un abus policier. C’est absurde, le SPVM a déjà assez de pouvoirs comme ça.»

Keffieh et masques à gaz
Le groupe Anonymus, qui proteste régulièrement contre l’Église de Scientologie, s’oppose également au règlement. «Pour nous, le port du masque est primordial, explique un membre du chapitre montréalais du mouvement. Ça nous permet d’éviter d’être intimidés par l’Église de scientologie. On trouve ça réducteur de nous mettre dans le même panier que ceux qui commettent du vandalisme, alors qu’on est pacifiques.» Lors de leurs manifestations, les militants d’Anonymous portent tous un masque de Guy Fawkes, le même que porte le personnage principal du film V pour Vendetta.

Plusieurs autres groupes ne ratent pas une occasion de se cacher le visage: masques à gaz dans des manifestations contre des sites d’enfouissement, tête de taureau pour protester contre la compagnie Red Bull, keffieh dans des rassemblements pro-palestiniens, etc. Ces gestes, souvent humoristiques ou solidaires, ont parfois des motivations plus élémentaires. «On peut désirer ne pas exposer nos idées à nos patrons ou parents, par crainte d’être sanctionnés, explique Réda Chérif-Touil. On peut aussi vouloir éviter le profilage de la police, se protéger des caméras et des appareils photos.»

À ce sujet, Paul Chablo est catégorique. «Si des individus sont filmés, c’est qu’il y a un potentiel de danger.» Cette vision révolte les opposants au règlement. «À la base, on se protège contre eux et leurs abus, s’insurge Réda Chérif-Touil. En une phrase, je dirais ceci: vous n’avez pas à nous filmer.»
 

 

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